Le mémorial international Notre-Dame de Lorette, inauguré le 11 novembre par le Président de la République, vient de remporter la mention « Culture » de l’Equerre d’Argent, le prix d’architecture du Moniteur. Une distinction qui vient saluer l’alliance de la technique et de l’architecture au service d’une œuvre originale qui brille par sa discrétion dans le paysage de l’Artois. Ce mémorial, un des plus grands au monde, évoque ainsi la mort de 580 000 hommes tombés sur les champs de batailles de la région Nord-Pas-de-Calais entre 1914 et 1918. Le choix de l’anneau, d’une grande force symbolique, impose aussi des prouesses techniques.
Tentez de poser un anneau parfaitement plan sur un support irrégulier… Forcément, il y a des creux ! Alors quand il s’agit d’un anneau de béton d’un périmètre de 328 mètres surplombant une colline, le creux se transforme en un porte-à-faux de près de 60 mètres ! Quand il dessine son ellipse horizontale à la mémoire des 580 000 hommes tombés sur les champs de bataille de Flandres et de l’Artois, l’architecte Philippe Prost n’imagine pas que son dessin implique de telles innovations techniques. C’est la grande force de l’alliance de l’architecture et de la technique. La seconde révèle les ambitions de la première. L’ingénierie parvient ici à conserver une planéité parfaite et fortement symbolique : « L’horizontalité répond à la verticalité de la tour lanterne (de la Nécropole à proximité, NDLR), elle est aussi signe d’équilibre, gage de pérennité ». Ancré dans le sol sur les deux tiers de son périmètre, l’anneau s’en détache lorsque la déclivité du terrain s’accentue. « Son porte-à-faux est là pour nous rappeler que la paix demeure toujours fragile ».
Tout est dit : il faut donner une impression de fragilité tout en assurant la pérennité d’un ouvrage qui va accueillir des millions de visiteurs et construit pour des siècles.
Une affaires de spécialistes
C’est l’affaire d’une équipe de spécialistes réunie par Eiffage, constructeur de l’ouvrage d’art. Concrètement, cet anneau est composé de 122 voussoirs préfabriqués, dont 49 précontraints par la mise en tension de quatre câbles pour réaliser la poutre qui intègre la partie de l’ouvrage en porte-à-faux. Un véritable pont ancré sur quatre appuis et présentant une très forte courbure. Heureusement,
Eiffage TP venait d’enchaîner deux chantiers exceptionnels, le Viaduc de Millau et le Grand Stade de Lille. De quoi approcher ce chantier avec assurance et technicité. La méthodologie employée est bien celle d’un viaduc, et le contrôle de la pose de chaque voussoir d’un poids de 7,5 à 10,2 tonnes, est assurée par un géomètre sur site en permanence. Imaginez, la tolérance de pose sur chantier devait être de 3 mm ! De la pose à joint ultra mince avec des éléments de béton de plusieurs tonnes… Un travail d’horlogerie avec des pièces de génie civil. De quoi consommer quelque 7 500 heures de génie civil ! La fabrication des voussoirs est l’œuvre de BSI, la filiale spécialisée dans le béton fibrés à ultra-haute performance d’Eiffage.
600 000 noms sur 500 panneaux
Une fois l’anneau installé, encore fallait-il y inscrire les noms. Et près de 600 000 patronymes prennent une place incroyable. Il a fallu pas moins de 500 plaques d’acier inoxydable de couleur bronze et d’une dimension de 0,90 m de large sur 3 mètres de hauteur. Les lettres sont gravées par un procédé innovant développé par la société Citynox appelé « haptigraphie » sur une conception graphique du typographe Pierre di Sciullo.
Deux hectares de prairie
Les deux hectares du site ont été finalement peu modelés pour accueillir cet anneau, respectueux du site et de ses accidents. Le paysagiste David Besson-Girard développe un dessin d’herbe, « une étendue mouvementée de gazon qui valorise le relief de l’Artois face à la plaine de Flandres ». Un fleurissement est tout de même prévu dans la pente qui passe sous le porte-à-faux. Au printemps et à l’été, d’ici à 2018, s’épanouiront des coquelicots, bleuets et myosotis blancs, les trois symboles réunis des grandes nations qui se sont affrontées. Une œuvre de béton, de métal et de fleurs pour dépasser les horreurs de cette Grande Guerre.
Ils ont fait l’anneau
Maître d’ouvrage : Conseil régional Nord-Pas-de-Calais
Maîtrise d’oeuvre : AAPP Agence d’architecture Philippe Prost (architecte mandataire avec Lucas Monsaingeon chef de projet), Pierre di Sciullo, graphiste, David Besson-Girard (paysagiste), Yann Toma (création lumière), C&E Ingénierie (BET Structure) avec Jean-Marc Weill et Raphaël Fabbri, Bureau Michel Forgue (économie), Louis Choulet (BET Fluides, HQE)
Entreprises : Groupement Eiffage TP et Eiffage Energie avec Jérôme Frezin (directeur de travaux); Citinox (serrurerie), Eurovert (espaces verts)
Coût global : 8 millions d’euros